top of page

Gotthelf Fritz 

Berlin, 1912 – Munich, 1984

Fritz Gotthelf avait fait ses études dans un collège militaire allemand, et quitté l’Allemagne en 1933 pour la France, puis la Grande-Bretagne. Interné dans un camp en Éthiopie pendant la Seconde Guerre mondiale comme sujet allemand, il débarqua à Beyrouth, au début des années 1950, au terme d’une errance de plusieurs années au Moyen-Orient. Il ouvrit une galerie de peinture, ainsi qu’une fabrique de meubles financée par deux jeunes architectes et un amateur d’art libanais.

Les arts décoratifs appliqués, dans le Liban de 1950, se lisaient selon les cultures et les pratiques artisanales des différentes communautés. La production allait des copies des années 1930 aux variations des styles français. Elle reflétait un art de vivre puisé, au mieux, dans le décorum ottoman, quand ce n’était pas une ottomanisation du goût, c’est-à-dire un baroque ou un rococo décalés et réinterprétés. De la signification sans fonction et du décorum social sans usage, l’histoire des arts décoratifs appliqués de la période reste à écrire. On en dira seulement qu’ils représentaient ce qui était, à tort ou à raison, le plus surfait dans le code social, affecté d’une référence soit ottomane soit européenne.

Gotthelf posait pour sa part, la question du goût, c’est-à-dire, aussi, celle de la vérité de la perception et de la beauté. Il introduisait dans la société libanaise l’inévitable question de la forme. Pour lui, l’extrême de la réponse possible était que la forme doit répondre à la fonction. Ce qui allait certainement bien plus loin que la première lecture de l’influence du Bauhaus. Mais il croyait la question et la réponse dépourvues d’histoire, sans passé, ne prenant pas conscience qu’en injectant le Bauhaus et l’avant-garde allemande des années 1930 dans le Beyrouth de 1950, il apportait une autre forme de décalage.

De manière plus large, il posait aussi la question de la perception artistique et de la notion de goût. Faute de moyens propres, il ne pouvait se percevoir que comme l’exportateur de quelques idées dans les deux champs d’application où il parait au plus pressé : la fabrication de meubles, et la peinture.

Son approche de la peinture passa par les expositions dans sa galerie, consacrées aux peintres allemands, à Carzou, à des estampes japonaises, et aux peintres libanais des années 1950 : Abboud, Aouad, Kanaan et Rayess. Sa démarche semble plus importante que ses découvertes ou ses réalisations. Atteint d’une dépression nerveuse, il dut précipitamment quitter le Liban, en 1956.

Gotthelf est intéressant pour la sociologisation culturelle de la peinture au Liban, dont l’étape précédente couvrait la fin des années 1920 et 1930, avec les expositions au Cercle de l’Union française et les premiers salons de peinture, ceux des Amis des Arts et du Parlement libanais. Avec Georges Cyr, qu’il allait exposer, Gotthelf comprit qu’il ne pouvait poser la question de la modernité en la disjoignant de celle de sa perception par la société libanaise. Le problème n’était pas celui d’une vulgarisation, mais touchait au vécu dans le rapport à l’art. Cyr tournait la page de sa période d’aquarelles et s’interrogeait sur sa place éventuelle dans le post-cubisme et l’histoire de la peinture en France. Il n’avait pas compris que les jeunes Libanais, par ce qu’ils croyaient comprendre de l’avant-garde, ne pouvaient le maintenir dans une position de référence, de père fondateur de leur modernité. Ils se tournèrent naturellement vers Paris, Metzinger et André Lhote pour la compréhension du néocubisme comme l’une des expressions de cette modernité. Pour eux, le néocubisme était, en effet, le seul moyen de démonter la modernité de la toile européenne en tentant de la comprendre, puisqu’ils ne pouvaient le faire à partir du réalisme d’Onsi et de Farroukh, c’est-à-dire d’une tradition qu’ils refusaient, et que, par ailleurs, l’enseignement de l’ALBA avait commencé, avec Manetti, à mettre sérieusement en doute.

Après avoir quitté le Liban, Gotthelf travailla à Paris, puis en Allemagne. Il se suicida à la veille du vernissage de l’exposition posthume de Farid Aouad, en 1984. Son amitié pour Aouad avait éclairé son existence.

غوتهلف ٢.jpg

A partir de la droite, Henri Seyrig, Hassan Kabalan, Fritz Gotthelf, Louis Roché, Beyrouth, 1955

bottom of page