Fakih Chafic
Aley (Liban), 1928–2011
Chafic Fakih a fait ses études à Beyrouth, de philosophie à l’Université américaine en 1948 et 1949, puis de 1963 à 1967, il a passé une licence de littérature arabe à l’Université arabe. Plus que dans les premiers travaux de Rayess, on vit dans la première exposition de Chafic Fakih la description d’un monde imaginaire créé au fur et à mesure du dessin. Cette plasticité des formes, que Rayess vivait comme l’expression naturelle de ses fantasmes, était la forme extrême de sa richesse spirituelle, comme le montre sa correspondance avec Mikhael Nouaymé.
Ces formes intérieures, il fallait bien les traduire par d’autres formes ; il n’y avait pas d’autre langage possible pour cette sismographie de l’âme. Fakih suivit la même démarche, mais fut aussitôt perçu par Pierre Robin, directeur de l’École des lettres à Beyrouth à la fin des années 1940, comme l’annonciateur d’une ouverture des Druzes à la modernité, ce qui était une manière de lire la modernité et non les Druzes. De son côté, Fakih vit là une légitimation supplémentaire. La légitimation fondamentale était druze et venait de la solidarité clanique. L’intérêt que lui manifestaient Robin et les milieux intellectuels, intérêt restreint car on ne voyait pas toujours d’un bon œil cette irruption dans le domaine de l’art, ne pouvait se fonder uniquement sur une préface de catalogue et un article de journal.
Fakih affrontait la difficulté d’articuler sa pratique sur une culture, une continuité, une historicité, bien plus que la reconnaissance d’autrui. Ce monde intérieur, dont la complexité plastique rivalisait avec le réel, se posait de ce fait en rival du monde réel. Par moments, il eût aimé continuer le dessin par le texte, ou inversement. Il lui semblait parfois ne pas être suffisamment proche de ce qu’il portait en lui, et tout le drame tint probablement moins à cette dichotomie qu’à une réalisation qu’il ne parvint pas à pousser plus loin. Elle n’était pas uniquement liée à l’expression ou à la maîtrise technique. Ce n’est pas le vieux problème de la peinture naïve qui se pose ici, mais celui d’une naïveté de peindre en mettant de côté la peinture comme une fatigue de l’habitude. Or ce qu’on croit avoir à dire est toujours surfait, piégé par la peinture quand elle n’y a pas une part.
Cette part, ceux qui la refusèrent durent se plier autrement à ses exigences, par une littéralité de l’approche picturale, constante de la peinture libanaise due autant à l’absence de prise de conscience de la tradition – donc d’une continuité historique et culturelle –, qu’à la continuité de la transmission artisanale du métier de peindre.
En 1950, quand Onsi peignait des femmes druzes à la fontaine, Fakih tentait de faire autre chose que de l’aquarelle, même si l’approche de la compréhension de l’aquarelle était de loin plus reposante. S’il ne cherchait pas à répondre à la tradition picturale druze, du moins était-il en quête d’une réponse druze à la pictorialité et à la représentation. C’est, de toute évidence, affaire de réaction personnelle, mais toujours sur un arrière-plan socioconfessionnel. Il se trouve souvent au sein des communautés des individus qui jouissent de droits individuels, sans le savoir ou les revendiquer, mais qui en font tout simplement usage. Peindre avec l’ignorance nécessaire, quand ce n’est pas l’interdit de la figure, leur permet un moment d’amener au jour un monde intérieur.
Il est clair que l’intérêt de Fakih s’inscrit dans le cadre d’une histoire de la peinture druze. Son développement, depuis la naissance de la doctrine, n’est pas seulement lié à la recherche de figures dans des manuscrits, mais aussi à une tradition dont l’ésotérisme s’est souvent appuyé sur une géométrie et sur la part du réel qui y était liée.

Chafic Fakih - Sa maison, sans date