Dib Kenaan
Dlepta (Liban), 1801–1882
Dès lors qu’il prend en charge l’histoire de la peinture, un peintre se pose le problème de la représentation hors des codes du sujet et de la copie. Kenaan Dib cesse d’être peintre quand il recopie ces codes et reprend les conventions, se comportant alors en artisan de la représentation. On peut de ce fait tenir la peinture de Kenaan Dib pour gauche, convenue et entièrement dépourvue d’originalité, dans une copie que lui-même ne savait pas toujours être telle et considérait comme le langage naturel de ce qu’il percevait dans l’histoire de la peinture. Encore faudrait-il ne pas oublier la façon dont on lisait un tableau, une image de piété, dans la seconde moitié du xixe siècle.
Né à Dlepta, Kenaan Dib fit ses études à Mar Abda Harharya, à Jdeidet Ghazir. Il fit son apprentissage chez son oncle Moussa Dib, et s’inscrit dans une filiation Kobressi-Moussa Dib. Il ne devint vraiment peintre que lorsqu’il proposa son propre code, apparaissant par là comme un jalon de l’histoire de la peinture au Liban. Il se mit alors, à puiser dans ce qu’il était, mais aussi dans cette part d’imaginaire qui relève, à la fois, d’un collectif culturel et d’une caractérisation de l’individu.
Ce qui est important, ce n’est pas uniquement son interprétation naïve mais son plaisir de peindre et de découvrir les possibilités d’expression dans le cadre du sujet qu’il peint. Le même mécanisme avait joué chez Daoud Corm, qui l’avait poussé à son extrême pointe en peignant son propre plaisir de peindre.
Là aussi, il ne s’agissait pas d’une interprétation naïve, mais de la construction d’un langage pictural personnel. Ces mécanismes, qui correspondent à des rejets ou des retours partiels, sont liés au processus de formation de l’individu.
Kenaan Dib travaillait suivant une tradition mais il y était à tel point inscrit qu’il ne le remarquait pas. Son oncle, Moussa Dib, était supérieur d’un couvent, et lui-même fut un clerc, procédant directement de l’ordre religieux et de sa culture picturale, c’est-à-dire d’une iconographie religieuse liée à une vision théologique du monde. Face à l’académie, ou du moins à ce qui allait en être la lecture, il revendiquait – sans même avoir à la revendiquer puisqu’il la réalisait d’emblée – la production du tableau, et non la reproduction académique.
Ce qui était censé n’être qu’un apprentissage de la technique, de la main, lui avait permis de pousser plus loin de façon toute naturelle la nouveauté du sujet et de renouveler ainsi l’imagerie traditionnelle par le seul traitement pictural.