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Csontvary, Mihaly Tivadar Koszka, dit 

Kisszeben (Hongrie), 5 juillet 1853 - Budapest, 20 juin 1919

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Csontvary fait des études de pharmacie en Hongrie et de peinture en Allemagne et à Paris.

Il entreprend plusieurs voyages au Proche-Orient, le premier en 1903, et peint toujours sur le motif comme en 1905, Baalbeck, toile de 32 mètres carrés et en 1907-1908, Le Cèdre solitaire et Pèlerinage au cèdre.

Il parcourt le monde, animé par une doctrine du salut par l’art et l’expression artistique dont le Liban est, pour lui, un des sites.

Aussi va-t-il droit aux symboles fondamentaux du pays, les cèdres et Baalbeck, avec un sens de la dramaturgie et de la mise en scène dont l’acuité apparaît évidente.

Csontvary illumine ses grandes compositions par un fauvisme mystique dont l’arrière-plan symbolique est parfois difficile à comprendre, mais l’atmosphère d’étrangeté qui s’en dégage est prenante.

Pharmacien de l’âme plus qu’apothicaire, pharmacien métaphysique et halluciné de la Hongrie plus que de l’empire austro-hongrois, il a apporté à la mystérieuse alchimie de l’âme et de l’interrogation mystique, la réponse de la peinture.

Le Liban est à ses yeux symbole et incarnation, des éléments, signes, paysages et présages d’un monde intérieur.

Dans l’histoire de la peinture libanaise, Csontvary occupe l’une des places principales et joue le rôle du génie absent. Si fortement pénétré d’un lieu qu’il le vit et l’incarna mieux que tous ceux qui y vécurent ou le peignirent. Baalbeck n’est plus considéré comme un temple transposé dans sa toile mais une toile transposée dans un temple.

Csontvary a peint mais en vérité il a vécu les deux lieux fondamentaux du Liban. Il les aura incarnés, c’est-à-dire peints mieux que personne. Sa naïveté n’est qu’apparente puisqu’elle est un moyen de faire venir à lui le sujet. Comment aurait-il pu l’aborder autrement ? Les Cèdres, lieu premier et Baalbeck, lieu second.

La tradition de la peinture orientaliste ou de voyage raidit le trait, la ligne et le rendu au point qu’il n’est possible d’y insuffler quoi que ce soit d’autre que la ressemblance.

Csontvary porte une autre clé et une autre signification dont il est au moins deux explications. Celle d’un monde mental intérieur et symbolique qu’il projette sur Baalbeck et Les Cèdres où l’explication hallucinée dont il ne voit l’application qu’en ces lieux.

Il est même possible, par ailleurs, qu’il ait puisé une documentation première dans un « livre doctrinal » à partir duquel il délivre lui-même sa vision.

C’est certainement la vision de Csontvary qui est importante, par la force poétique qu’il véhicule, la manière dont il installe l’irréel dans le réel. Il peint Baalbeck, le village et les maisons autour du temple. Mais c’est un lieu qu’il rendra plus habité encore par sa vision. La Cérémonie à Baalbeck tout comme La Cérémonie aux Cèdres, il suffit d’en voir les croquis et les dessins préparatoires, pour comprendre que la peinture lui est un lieu de réalisation définitif.

C’est le seul peintre visionnaire du Liban. Gibran navigue entre Rodin et Carrière dans un angélisme prudent. Sa vision tient à un brouillage du rendu quand Les Cèdres de Csontvary portent la trace de l’expérience mystique d’un Liban pictural, même si l’on ne peut écarter l’utilisation de la photographie pour peindre le village pour un montage du Liban comme une expérience synesthésique et esthétique.

Csontvary élargit les limites de la perception de la toile, ce qu’il représente et décrit littéralement c’est le visible de son imaginaire. Il en place les éléments et le génie des lieux, le dieu mystérieux des cultes locaux. C’est moins à ce paganisme qu’il faut retourner qu’à l’expérience de la peinture. Le génie du lieu c’est la peinture même.

Les délires d’interprétation des premières données de la psychose paranoïaque ne sont pas la condition nécessaire pour créer une œuvre. Mais ces données ont accompagné un don réel de réalisation et une logique interne suffisamment articulée pour créer à partir de cette interprétation une œuvre symboliste qui définit l’expression du génie d’un pays, par des moyens uniquement picturaux.

Faut-il encore que les délires paranoïaques portent leur part d’authenticité, soit un délire vrai pour une pratique expressive.

Csontvary ne relève pas de Prinzhorn ni de l’art brut mais de l’utilisation intelligente de la scène intérieure, la voix qu’il entend et qui lui répète « tu seras le plus grand peintre ».

Il aurait fallu que cela tombe sur les deux lieux mystiques du Liban. Il s’agissait d’essayer de rendre perceptible l’intérêt du délire quand il n’est pas du chiqué et d’essayer aussi de faire apparaître l’articulation du délire dans une pratique picturale qui fasse sens et non écran.

Csontvary donne sa consistance à un monde fermé dont la transmission visuelle, telles ces cigognes blanches autour des branches des cèdres n’est pas pour porter des enfants, mais le sens, la lumière verte et le symbolisme des couleurs.

Sa religiosité est celle de son délire et celle-là même qui entraîne l’autre sur le terrain du possible, non pour l’inviter à l’imiter mais pour regarder ce par quoi la représentation projetée de l’imaginaire répond à la peinture, déesse muette, et non à l’incidente bavarde de l’anecdote qui n’arrête pas de parler.

L’association des dimensions paranoïaques et ésotériques dans sa peinture la rend d’autant plus évidente que la symbolique reste lisible au premier degré dans le paysage et dans son interprétation, hors même de la signification de la scène.

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